Dame Felicity Lott: « Je suis émerveillée d’avoir pu avoir la carrière que j’ai eue »

Dame Felicity Lott: « Je suis émerveillée d’avoir pu avoir la carrière que j’ai eue »

Dame Felicity Lott: « Je suis émerveillée d’avoir pu avoir la carrière que j’ai eue »

Dame Felicity Lott

Les ICMA (International Classical Music Awards) honorent cette année Dame Felicity Lott avec le ‘Liftetime Achievement Award’. Mozartienne accomplie, Maréchale de rêve, Felicity Lott a ravi les publics également dans l’opérette et dans le Lied. Rémy Franck s’est entretenu avec la cantatrice.

Dame Felicity, en fait, en vous voyant, en vous connaissant depuis des années sur scène, je pense que vous avez tout pour faire une diva, mais que vous n’en êtes pas une. Quelle est la différence entre vous et une diva?
[rire] Je pense qu’une diva doit avoir une forte opinion d’elle-même. Moi, je n’en certainement pas… C’est peut-être grâce à ma famille, grâce à mon éducation. Mais aussi parce que j’ai souvent peur, depuis toujours… rien n’a changé. Mais je suis émerveillée d’avoir pu avoir la carrière que j’ai eue.

Au début, vous ne vouliez pas devenir cantatrice?
Non, c’est vrai. Moi, je voulais être interprète. J’adorais la langue française et je voulais en faire quelque chose. J’étais assistante d’anglais dans un lycée à Voiron, près de Grenoble, pendant une année, et j’ai découvert que je ne pourrais pas enseigner parce que j’avais très peur devant tous ces élèves, toujours. Par ailleurs, je n’avais pas la facilité de passer vite d’une langue à une autre, donc, pour être interprète, cela aurait été terrible. Et puis, j’ai rencontré une professeur de chant qui m’a dit: « Si vous travaillez un petit peu plus le chant, peut-être vous pourriez en faire quelque chose. » Donc: vive la France, et vive cette dame merveilleuse!

D’où venait cette affinité avec le chant?
J’ai toujours chanté, tout le monde dans ma famille chantait…

Dame Felicity et Rémy Franck, Président des ICMA, lors de l'interview à Paris (c) Nicole Junio

Dame Felicity et Rémy Franck, Président des ICMA, lors de l’interview à Paris
(c) Nicole Junio

Et comment est né cet amour pour la langue française, …et le latin?
Je pense que pour moi le latin a un petit peu remplacé les mathématiques, parce que j’étais nulle en mathématiques, mais le latin, je pouvais l’apprendre. C’était même possible d’avoir 100% dans un examen.
La langue française, je l’ai découverte grâce à ma maman qui avait passé quelques semaines en France quand elle était jeune, et qui avait adoré la langue française. Quand j’ai commencé à étudier le français au lycée, elle suggérait de parler le français pendant le repas, une ou deux fois par semaine. Et puis, elle m’avait envoyée chez des amis en France. Tout de suite j’adorais ce pays. Et puis, quand j’ai fait ma licence, je pouvais choisir une région pour un stage. Je voulais aller le plus loin possible et dans la montagne, donc j’ai choisi la région d’Annecy, parce que Cheltenham, où je suis née, est jumelée avec Annecy. A Voiron il n’y avait pas d’étrangers, je devais donc parler le français. Si j’avais été à Grenoble, où il y avait plein d’Américains et d’Anglais, j’aurais parlé anglais tout le temps. Et je ne me serais pas inscrite au conservatoire, ma vie aurait pris une toute autre direction. C’est incroyable… je dis toujours: ce sont les rencontres qu’on fait dans la vie, qui vous invitent, qui vous emmènent ailleurs.

Et ces études de chant, cela s’est passé comment ? Vous preniez plaisir?
Oui, oui, beaucoup! D’ailleurs, j’avais déjà eu des cours de chant chez moi, en Angleterre. Et aussi quand j’étais allée à l’université, … mais je ne travaillais pas. Mais là, en France, je me suis dit qu’il fallait peut-être s’y mettre. Ma professeur, Élisabeth Maximovitch, m’a fait apprendre l’air de Pamina de la ‘Flûte Enchantée’, et par la suite, j’ai toujours auditionné avec cet air. Elle m’avait envoyée aussi à l’Académie internationale d’Eté de Nice où j’ai découvert et tout de suite adoré les mélodies françaises que ne connaissais pas du tout.

Et Pamina a été votre premier rôle…
Oui. Je l’avais fait quand j’étais devenue étudiante à la ‘Royal Academy of Music’, à Londres, et puis, j’ai doublé Pamina à l »English National Opera’. Et là, la soprano qui chantait est tombée malade, donc j’ai dû la remplacer. Heureusement, j’avais bien travaillé, pour une fois, et cela a bien marché.

Mais Mozart est resté un pôle fixe dans votre carrière…
Tout à fait! J’ai beaucoup chanté Mozart, surtout la Comtesse dans les ‘Noces de Figaro’ et aussi Fiordiligi – que j’ai adoré – dans ‘Cosi fan tutte’. Et Elvire dans ‘Don Giovanni’, que j’ai moins aimé. C’est un personnage qui, en fait, est tellement merveilleux, mais tout le monde rit chaque fois qu’elle entre. Je pense que ça allait avec mes complexes, parce que je suis très grande. Surtout en France, on s’est toujours moqué de moi parce que je suis tellement grande. On me disait toujours: « Il fait froid, là-haut? » ou « Vous avez trop mangé de soupe? ». Mais mon père aussi s’amusa. Parce que je ne trouvais pas de chaussures suffisamment grandes, il disait: « Tu n’as qu’à mettre les boîtes ». Bref, j’avais des tas de complexes à cause de ma grande taille. Et quand Elvire ne cesse de revenir sur scène et que les gens disent: « Non, c’est encore elle », je pensais qu’on se moquait de moi.

Felicity Lott chante la Maréchale à l'Opéra de Vienne

Felicity Lott chante la Maréchale à l’Opéra de Vienne

Et puis, il y avait la Maréchale qui est devenue quelque chose comme votre rôle fétiche.
Oui! Dans les Strauss, c’était d’abord ‘Capriccio’ pour la tournée à Glyndebourne, en 1976. J’avais trois fois auditionné pour les chœurs, mais on ne voulait pas de moi. Et puis, ils m’ont donné ce rôle extraordinaire. Plus tard, j’ai chanté Octavian, aussi à Glyndebourne. C’est par le rôle d’Octavian que j’ai connu cet opéra, ‘Le Chevalier à la Rose’, et j’ai chanté ma première Maréchale à Bruxelles, en 1986, avec John Pritchard qui dirigeait merveilleusement bien. Et puis, un peu partout. Ça a été mon rôle fétiche, je suppose.

On vous a connue aussi, surtout en France, dans l’opérette française.
Oui, en 2000, j’ai chanté pour la première fois ‘La Belle Hélène’ avec Marc Minkowski et Laurent Pelly, dans sa mise en scène merveilleuse. C’était drôle, ah, que je me suis amusée! Je connaissais la musique, j’avais fait extraits dans les récitals, car j’aimais bien terminer mes récitals avec de la musique plus légère. Mais l’idée de faire cette opérette en entier, c’était nouveau, quoique j’aie fait la ‘Veuve joyeuse’ à Glyndebourne et aussi à Paris, dans une mise-en-scène d’Alfredo Arias, et avant déjà à Nancy. J’adore cette œuvre…

…que vous avez enregistrée avec Welser-Möst dans une distribution de haut niveau. Et j’ai justement l’impression que l’opérette est souvent méconnue, parce que les maisons d’opéra ne la prennent pas assez au sérieux et ne lui donnent pas les chanteurs qu’il faudrait. Donc, ils mettent souvent la troisième garde au lieu de mettre la première.
Belle-HeleneJe suis d’accord avec vous. Ce n’est pas facile du tout, l’opérette. Et puis, c’est vraiment délicat. On sombre vite dans le mauvais goût. Marc Minkowski a dirigé Offenbach d’une façon extraordinaire comme si c’était du Mozart. C’était léger, et les tempi ont toujours été surprenants… il fallait que tout le monde soit vraiment à l’écoute. Le résultat était extraordinaire. J’adore l’écouter. Je n’écoute jamais mes disques, mais si je suis un peu triste, je mets ça. Et puis, le sourire revient tout de suite parce que… il y a des bulles! Il y a vraiment des bulles dans cette musique. Et c’est tellement bien écrit… ‘La Belle Hélène’ au Châtelet était un succès fou. C’était la première fois de ma vie que j’ai fait partie d’un spectacle pareil, où il fallait refuser les gens qui faisaient la queue pendant des heures pour obtenir un ticket. On aurait pu remplir la salle je ne sais pas combien de fois avec cette opérette. Et moi, je me suis dit pendant la première représentation: « Quelle veine! Quelle chance d’être là et de participer à ce spectacle. Tu t’amuses et on te paie même pour. » Et puis, je suis tombée…ayant pris ma jambe sous la table et je me suis tordu la cheville. J’avais mal, mais j’ai courageusement terminé le spectacle. Ils ont fait venir un médecin qui m’a dit: « Surtout il ne faut pas courir, danser! » Et j’ai dit: « Vous avez vu ce spectacle? » Il s’est résigné et est venu pour chaque représentation me faire des bandages, car je ne voulais pas que quelqu’un d’autre me prenne ce bonheur [rire].

Grande-DuchesseEt là, vous n’aviez pas peur alors?
Non, là, je n’y ai pas pensé. Au début peut-être, à cause de tout ce qu’il fallait dire. Tout ce parler, cela m’a fait très peur. Mais tout le monde m’aidait beaucoup. Ils pouvaient me dire comment il fallait dire les phrases. J’ai compris un peu, mais je n’ai jamais confiance quand je parle, même en anglais. Mon mari qui est comédien, lui, il peut lire tout, et trouver des inflexions différentes à chaque fois, pour souligner telle ou telle chose… moi, je ne sais pas faire cela.

Mais en chant, vous le faites.
Oui.

En chant, vous faites toutes les nuances, et on comprend chaque mot, et vous donnez à chaque mot l’importance et la couleur dont il a besoin.
Merci beaucoup. Cela me fait beaucoup de bien! Mais, en fait, c’est grâce à la musique que je sais faire cela. S’il n’y a pas la musique, je suis perdue. J’aurais bien voulu faire du théâtre, …impossible!

Mais dans tout ce que vous faites, vous êtes également une actrice et, hier soir, dans votre récital, dans différents Lieder, vous avez fait des gestes, vous avez roulé des yeux, vous avez fait des grimaces… tout ce qui contribue à votre qualité première, l’incarnation du rôle.
Oui, j’ai beaucoup de plaisir à ‘interpréter’. Mais sans la musique, je ne je saurais pas le faire. Mais, heureusement, les compositeurs ont fait tout le travail pour moi.

En général, le répertoire de la mélodie, du Lied vous va bien…
J’aime beaucoup les récitals. C’est très intime. J’aime cette intimité. Je n’ai jamais eu une voix très, très grande. Pourtant, j’ai beaucoup aimé chanter au Met à New York. J’y ai notamment fait le ‘Chevalier à la Rose’ avec Carlos Kleiber’. Mais lui, de toute façon, il nous aidait tellement, il a si bien su porter les voix… Et puis, l’acoustique est très bonne au Met, quoique la salle soit immense.
Aujourd’hui, c’est dans le répertoire de la mélodie que je me sens vraiment à l’aise. Le répertoire est immense. Je ne viendrai jamais au bout de tout ce qu’il y a comme répertoire. Et j’aime retrouver la musique que j’ai chantée il y a longtemps, mes compositeurs préférés, Hugo Wolf, Richard Strauss: j’adore leurs textes qui sont tellement importants.

Si je vous compare à beaucoup de jeunes cantatrices d’aujourd’hui, je constate qu’elles ont une merveilleuse voix mais, contrairement à vous, elles n’arrivent pas à habiter un rôle, à vraiment incarner le personnage. Qu’est-ce qu’il faut faire pour arriver à ce stade de l’interprétation ?
Difficile à dire! Je pense être plus à l’aise quand je suis sur scène, en train de faire semblant d’être quelqu’un d’autre. Il faut… il faut s’oublier dans le personnage, et puis, j’essaie de ne pas trop penser au chant. La qualité du chant arrive avec la répétition. Sur scène, on a dépassé cela. Je me suis toujours efforcé de faire passer le texte. Parce que moi, si je vais à l’opéra et que je ne comprends rien, je ne peux pas croire au personnage et je m’ennuie. J’ai travaillé avec des chanteurs qui faisaient des blagues tout le temps, qui étaient toujours en train de séduire les filles dans les chœurs. Peut-être j’étais jalouse, mais j’aurais voulu leur dire: « Pourquoi êtes-vous là? Ne savez-vous pas que avons une chance folle d’avoir cette vie, d’être sur scène, avec cette belle musique et tout ce que les compositeurs et les librettistes nous ont offert? »

Felicity LottQuel a été l’événement le plus significatif de votre carrière?
Quand, après avoir auditionné pour Bernard Haitink, ce merveilleux chef m’a prise pour ‘The Rake’s Progress’ à Glyndebourne. Cela a été un tournant dans ma carrière. J’ai adoré travailler à Glyndebourne, dans cette ambiance unique, en famille presque. On avait beaucoup de temps pour répéter les rôles avec des coaches extraordinaires. Si vous aviez appris un rôle à Glyndebourne, vous l’aviez pour toujours. Et puis, l’endroit proprement dit, le paysage, la beauté de la nature, tout cela m’a bouleversée, et je suis d’ailleurs allée habiter non loin de là.

Que signifie le fait de recevoir le prix ‘ICMA Lifetime Achievement’ d’un groupe de critiques internationaux?
D’abord, je croyais que c’était une blague. Mais après avoir compris que c’était bien vrai, je dois dire que je suis vraiment très honorée, plus: je suis très touchée. Je suis très touchée, parce que moi, je n’étais pas quelqu’un qui gagnait des récompenses, mes disques ne gagnaient pas de prix, ou alors très rarement, je n’étais jamais aux ‘Gramophone Awards’, jamais!

Vous étiez trop Française pour les Anglais?
Sûrement! D’ailleurs je ne chante presque plus qu’en France. Je pense qu’en Angleterre on croit que j’ai pris ma retraite il y a quelques années. C’est une des raisons pour lesquelles j’adore venir en France. Je me sens tout à fait différente en France. Je deviens quelqu’un d’autre. Beaucoup plus intéressante. Sexy Flott! [rire] Mais c’est grâce à Messager, Reynaldo Hahn, et tous ces Offenbach…

Si on reçoit le ‘Lifetime Achievement Award’, cela ne veut pas dire que la carrière est terminée, mais c’est peut-être le moment de jeter un regard en arrière. Est-ce qu’il y a des choses que vous regrettez de ne pas avoir pu les faire?
J’aurais dû apprendre le tchèque pour Janacek, et j’aurais dû apprendre le russe pour Tatyana dans ‘Onéguine’. J’aurais aimé chanter Tatyana. Je l’ai fait une fois en concert, en anglais. Janacek également. C’est tellement bouleversant. J’ai doublé le Renard dans la ‘Petite Renarde rusée’ quand j’étais étudiante à l’Académie royale. Il y a quelque chose dans cette musique qui me fait pleurer tout de suite. Je suppose que j’aurais pu surmonter les larmes pour pouvoir interpréter le rôle, mais il aurait fallu comprendre et parler la langue, sinon on ne peut pas le faire.

Vous parlez de larmes. Où vous situez-vous entre la phrase de la soprano Sylvia Geszty qui me disait « Le chant, ce n’est que de la technique » et José Carreras qui dit « Il faut chanter avec l’âme’?
Chanter avec l’âme, sans aucun doute. Évidemment, il faut avoir la technique, mais sans âme, la meilleure technique ne sert à rien.

Si vous aviez un conseil à donner à une jeune cantatrice…
N’essayez pas de trop faire trop vite, peut-être, et: Pensez au texte! Pensez au texte, même si ce n’est pas très à la mode. Dans ces auditoriums immenses qu’on construit maintenant, avec des orchestres immenses, trop forts souvent, c’est difficile de donner du volume, et le texte, aussi, c’est difficile de le faire passer. Mais c’est tellement important. Et puis, un conseil que Solti m’avait donné, peut également être utile. Je lui avais dit: « Je n’arrive pas à faire ceci, je n’arrive pas à faire cela, j’aimerais donner un peu plus de volume dans le grave … » Et il a répondu: « Ecoute, chante avec ta voix, il y aura plein d’autres personnes qui diront après: ‘Je voudrais pouvoir faire comme elle’. Tu as des choses que toi, tu peux faire, et que d’autres, peut-être, ne savent pas faire. Mais si tu restes fidèle à ta voix et à ton personnage, tu vas transmettre quelque chose. » Et je pense qu’il avait raison. Mon conseil est donc: Ouvrez votre voix et chantez avec!